À sa conception, Internet est pensé comme un réseau de réseau. En interconnectant les réseaux, on permet à chaque personne connectée de rentrer en contact avec davantage de monde. Sauf que la construction et l’interconnexion des réseaux a un coût qu’il faut assumer. Qui paye ? À qui appartient le réseau ? Les trois réponses possibles en terme d’organisation économique sont : le public, le marché, le commun.

Le public

Le public peut sembler être la réponse la plus évidente : c’est au public qu’il revient de construire les infrastructures essentielles dans un État. Les infrastructures routières, d’eau potable, de l’électricité, du gaz, etc. mais également de traitement des eaux usées et des déchets, ont toutes été construites, en France, par la puissance publique jusqu’à assez récemment. La vague de privatisation débutée dans les années 1980 a emporté l’acteur historique des télécoms (feu France Télécom qui, par ailleurs, préférait sa technologie de pointe (le Minitel) au développement d’Internet). Le fait qu’un seul opérateur national fournisse des accès à Internet n’est cependant pas non plus souhaitable. En effet, c’est une condition nécessaire à la censure (comme ce fut le cas par exemple en Égypte durant la révolution de 2011) que la pluralité des acteurs rend plus complexe (par exemple en Russie durant la guerre contre l’Ukraine en 2022-202x). Il n’empêche que l’État peut être garant de la construction et du bon fonctionnement des infrastructures du réseau. La construction de nombreux réseaux est encore financée par le public. C’est, par exemple, le cas des réseaux d’initiative publique (RIP), c’est-à-dire des déploiements de fibre optique dans les départements, à l’exception des zones dites « denses » (c’est-à-dire « densément peuplées ») dans lesquelles les entreprises à but lucratif ont accepté de déployer le réseau elles-mêmes, parce qu’elles y voyaient une rentabilité à court terme. Les RIP (où la collectivité a bien fait son travail) sont utilisables par tous les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), avec des conditions acceptables, même si la construction et l’entretien de ces réseaux a été déléguée (via des délégations de service public - DSP) aux mêmes entreprises privées qui avaient refusé d’assumer seules ces investissements, avec l’exception notable de l’Ain [1]. On trouve aussi quelques réseaux déployés en propre par des communes, des intercommunalités (comme par exemple MétroNet, le réseau de fibres de la métropole grenobloise sur lequel Rézine opère).

Le marché

Internet est un mille feuille d’interdépendance d’acteurs. Pour la plupart, ils sont convertis à l’économie de marché et leur finalité première est la lucrativité. On y trouve par exemple : les RIP gérés, de fait, par le privé pour les 20 prochaines années, les transitaires (des acteurs qui garantissent de pouvoir s’interconnecter avec une région du monde, qui sont tous privés) et les (anciens) acteurs publics qui se comportent ou sont devenus des entreprises à but lucratif, ainsi que les fournisseurs d’accès à Internet qui sont pour la plupart des acteurs à but lucratif.

On pourrait penser que si c’est le mode retenu, c’est qu’il s’agit du plus efficace ou du plus pertinent. Pourtant, Internet est un réseau structurant pour un ensemble d’activités économiques et de libertés individuelles, probablement le premier qui n’a été ni organisé, ni déployé par l’État. Par ailleurs, Internet est aujourd’hui essentiel à la mise en œuvre effective de la liberté d’expression. Le Conseil d’État a en effet rendu un jugement en ce sens en 2009, considérant que :

« En l'état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l'expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d'accéder à ces services [2] »

Si Internet est à ce point important pour la mise en œuvre effective d’un droit fondamental (la liberté d’expression figure parmi les premiers des droits humains et constitue en effet une condition nécessaire à la réalisation d’autres droits), alors on peut s’interroger sur la pertinence de laisser à un oligopole d’entreprises à but lucratif le pouvoir de rendre possible ou d’empêcher l’usage de ces droits pour la majorité de la population. Face à la démission du public et aux écueils du marché, il faut donc envisager une tierce option.

Le commun

Internet repose sur une forme qui n’est ni du privé ni du public : les protocoles qui définissent le fonctionnement d’Internet (TCP, IP, DNS, etc.) ne sont la propriété de personne, ni d’un État ni d’une entreprise. C’est précisément la raison pour laquelle ce réseau a pu se développer et être amélioré par différents acteurs qui s’interconnectaient les uns avec les autres. Ce sont aussi les formes d’auto-organisation qui guident certains acteurs visant un intérêt général, bien que sous des formes associatives ou coopératives.

C’est la façon dont Rézine s’envisage : d’intérêt général et participant des communs. La gestion en commun suppose une communauté (l’ensemble des personnes membres, actives ou non, abonnées ou non) qui gère une ressource (notre bout d’Internet, les connaissances sur Internet) et qui se fixe des règles établies collectivement et que la communauté peut modifier [3]. Au-delà, c’est une conception de notre mission : raccorder l’ensemble des personnes qui se retrouvent dans notre objet social, transmettre de la connaissance sur le fonctionnement du réseau pour permettre à chacune et chacun de mieux appréhender les enjeux politiques que posent l’informatique et Internet en particulier. Rézine permet d’avoir un accès à Internet neutre, ouvert, dont l’objectif n’est pas la rémunération du capital. Nous réalisons cet objectif en collaborant avec des collectivités, en mobilisant des acteurs du marché (quand il n’y a pas d’alternative) ou en contribuant à d’autres communs (Grenode notamment). Produire du commun, c’est repenser régulièrement la meilleure manière d’organiser la gouvernance, la propriété, les pouvoirs au sein de la structure. C’est aussi dialoguer avec d’autres structures pour apprendre et participer d’un mouvement d’éducation populaire sur le numérique, pour permettre les conditions d’un débat collectif sur le numérique et Internet au regard d’un ensemble d’autres considérations politiques (l’égalité des genres, la soutenabilité de nos activités, etc.).

[1] Pour une compréhension des DSP et des conditions d’accès pour les FAI, voir le travail de la FFDN qui a évalué en 2019 les contrats de DSP sur https://fibre.ffdn.org.

[2] https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2009/2009580DC.htm, Considérant 12.

[3] Voir par exemple Benjamin Coriat, « Le retour des Communs Sources et Origines d’un Programme de Recherche », disponible en ligne sur https://hal.science/hal-03366941v1.