Pour pouvoir évoquer la dimension politique d’internet, il faut d’abord prendre le temps d’en présenter quelques aspects techniques. Rien ici ne demande de connaissances techniques avancées.

Où est le centre d’internet ?

« Internet » signifie Inter-Network (traduction : « entre les réseaux »). C’est un réseau de réseaux. Pour le dire autrement c’est parce que tous les réseaux utilisent une langue commune qu’ils peuvent se parler. Et c’est l’ensemble des ordinateurs à l’intérieur de l’ensemble des réseaux qui parlent les uns avec les autres qui forment Internet. Internet est souvent représenté comme une toile d’araignée. Tous les points ne sont pas nécessairement liés les uns aux autres directement, mais chaque ordinateur sur le réseau peut demander aux autres le chemin pour joindre un ordinateur différent ailleurs sur la toile. Il n’y a donc pas de centre. Mais il y a des chemins qui sont plus empruntés que d’autres.

Dans cette toile, la plus petite entité est l’opérateur réseau. Certains fournisseurs d’accès à Internet sont des opérateurs réseau, certains fournisseurs de services aussi. À Rézine, nous mutualisons avec d’autres fournisseurs d’accès et de services au sein d’une association d’associations qui s’appelle Grenode, qui est notre opérateur réseau.

Où est le nuage ?

Pour comprendre le « nuage », ou cloud, il faut d’abord comprendre ce qui différencie un serveur d’un autre ordinateur. Un serveur est un ordinateur, sur lequel sont installés des logiciels particuliers qui lui permettent notamment de répondre aux requêtes des autres ordinateurs via Internet. Chaque ordinateur connecté à Internet peut se comporter comme un serveur. Certains ordinateurs sont vendus avec ce but précis. Ils ont plus de puissance et d’espace disque, ils n’ont pas d’écran ni de clavier et ils ont une forme de boite à pizza pour en faciliter le refroidissement et afin de les empiler dans des salles dédiées. Pour autant, Internet a été pensé pour que tout le monde puisse mettre à disposition des autres ce qu’il souhaite partager (son site, ses photos, etc.) et non pour qu’une poignée d’entreprises centralisent les contenus de la moitié du monde dans des salles pleines de machines de plusieurs hectares, il a même été pensé précisément contre les médias centralisés [1].

Rézine fournit une adresse fixe à l’ensemble de ses membres, parce que c’est une condition pour qu’Internet fonctionne tel qu’il a été conçu. Une adresse IPv4, c’est une adresse publique, un peu comme une adresse postale, mais composé de 4 nombres entre 0 et 255. C’est une adresse à laquelle on peut joindre un ordinateur sur le réseau. Par exemple à l’adresse 193.33.56.5, on peut joindre un ordinateur de Rézine.

Le nuage est un nom donné à un imaginaire qui permet de dissimuler la réalité matérielle de ces hangars climatisés remplis d’ordinateurs et de câbles, qui ne laisse entrevoir que les services fournis sur Internet, qui les rendent légers et presque magiques [2]. Un dicton d’Internet affirme There is no cloud, just someone else’s computer (traduction : « Il n’y a pas de nuage, seulement l’ordinateur de quelqu’un d’autre »). Attention aux nuages où s’envolent vos données.

Comment les ordinateurs parlent-ils entre eux ?

Il existe deux types de réseaux électroniques. Dans les deux cas, il s’agit de relier, pour le temps de la communication, deux machines qui veulent se parler (deux ordinateurs, deux téléphones, deux télégraphes, etc.). Le premier type de réseau (historiquement) est à commutation de circuit : il fallait initialement une ligne électrique continue entre deux téléphones pour que le signal (la voix) puisse circuler. Les opérateurs reliaient physiquement les lignes téléphoniques. À l’inverse, sur Internet, il ne faut pas nécessairement un circuit direct et unique : la métaphore de la « toile » (d’araignée) montre même qu’il y a quasiment toujours plusieurs possibilités. Dans ce deuxième cas, l’information est découpée en petits paquets de données. Ces paquets sont ordonnés entre eux, on leur donne une adresse d’arrivée, et on les jette sur le réseau. Chaque routeur (une machine placée à chaque intersection de la « toile », le dernier du circuit et le plus connu de l’utilisateur étant la « box internet ») envoie les paquets dans la direction qui lui semble être la meilleure à un instant donné pour rejoindre l’ordinateur de l’autre « coté » du réseau, à l’adresse donnée à l’envoi. Chaque paquet peut passer par un chemin différent, prendre plus ou moins de temps, être renvoyé s’il est manquant et les paquets sont remis dans l’ordre à l’arrivée.

Le découpage en paquets, l’ordonnancement et l’envoi à une adresse IP donnée font l’objet de deux protocoles connus de tous les ordinateurs sur le réseau : TCP et IP. Ensembles, ils sont au fondement de la « langue » qui permet à tous les ordinateurs, dans tous les réseaux, de parler les uns avec les autres. C’est parce que ces deux protocoles sont publics (c’est-à-dire que chacun peut en connaître les spécifications et les utiliser) qu’ils sont devenus les protocoles privilégiés, la langue commune d’Internet.

[1] Turner, Fred. 2016. Le cercle démocratique: le design multimédia, de la Seconde Guerre mondiale aux années psychédéliques. Caen: C & F Éditions.

[2] Gomez-Mejia, Gustavo. 2014. De quoi le « nuage » est-il le nom ? Le statut des supports face aux régimes du cloud computing. Communication & Langages 2014(182):77‑93. doi: 10.4074/S0336150014014069.